15.9.10

la ville agraire


Rethinking happiness : Repenser le bonheur... Programme un peu lourd que se donne Aldo Cibic, exposé dans le pavillon de la Biennale, à Venise (toujours cette tendance messianique des architectes à dessiner un monde meilleur?): encouragé par la crise, il invoque la nécessité de l'utopie ("une occasions de redéfinir nos rêves et nos habitudes") et exhorte à "travailler ensemble".
Le meilleur n'est pas là. Mais dans la merveilleuse maquette concoctée avec son équipe, entourée de croquis charmants. L'ensemble, parfaitement accessible à tous, décrit de nouvelles typologies pour un urbanisme rural loin des schémas habituels et pourtant pas si irréaliste que ça.


Pièce centrale du dispositif, le parc agricole de 4 km2 pour 8000 habitants, imaginé dans la périphérie de Shanghai - territoire d'agriculture traditionnelle menacé par la croissance urbaine et industrielle : sur la grille des parcelles agricoles, se superpose une grille d'immeubles et des services collectifs. Ou comment faire entrer la ville dans la campagne et la campagne dans la ville.


Sur le thème de la "Agri-techno Valley" près de Venise, un campus pour attirer au milieu des champs 250 jeunes chercheurs - ou comment associer habitat et travail, grande agriculture, jardins potagers, tourisme, en totale autonomie énergétique...



Autre figure de style, la création d'une communauté d'un millier de personnes dans une zone à l'écart du centre-ville, au pied des Alpilles. Avec jardins partagés, vignes et vergers.


Pour la banlieue de Milan, près d'une nouvelle station de métro, un parc où l'espace public associe les équipements collectifs, au pied d'un ensemble de logements où trouver aussi des espaces de travail bon marché. Le tout s'appelle "Superbazar".

11.9.10

La Biennale, grande marelle

Au-dedans de Venise, toujours belle pour elle-même, il y a cette Biennale d'architecture. C'était ma première du genre, alors je n'ai pas de point de comparaison. Seulement des questions. En particulier celle de savoir si la marelle conduit bien au paradis (indice: les Jiardini s'ouvrent sur le Paradiso).

Cette édition 2010, sur le thème officiel de "se rencontrer dans l'architecture" (People meet in Architecture). En fait, de rencontre il est peu question dans l'expo. Encore moins de relation à l'autre (l'Autrui, dit Valère Novarina, formule qui tend à rendre encore plus étranger celui-là qui nous échappe forcément). Ce sont les espaces consacrés aux installations d'artistes, dans les bâtiments de l'Arsenal, qui donnent le mieux la sensation de la rencontre - le Motet bien sûr (voir post précédent), la délicieuse expérience du nuage (ou comment croiser quelques fantômes, quand il fait chaud en haut du parcours en hélice et, puisque tout est relatif, frais au sol; Transolar & Tetsuo Kondo Architects, Allemagne).


Pour le plaisir et les fantômes, il y a aussi l'eau lumineuse qui éclabousse et joue de reflets, perturbe la perception de l'espace et du temps : Your split second house du Danois Olafur Eliasson - Quel est l'espace entre deux secondes? Combien de temps faut-il pour sortir d'un trou noir?


Du côté strictement archi, difficile de se sentir concerné. Maquettes de maisons, film 3D d'un Wim Wenders piégé par la technique (au final, un objet sans cinéma ni architecture). Plus riches, les pavillons qui ont abordé la grande échelle. Histoire de Tokyo chez les Japonais, ou comment s'est fabriquée la ville - cours d'urbanisme à l'usage de la réflexion internationalement partagée sur la densité. Tokyo y est raconté en trois thèmes: Urban village (à partir d'une typologie de petites maisons, la fabrique de la densité et de la centralité):

Commersidence (commercial+residence, ou comment le commerce participe à la transformation ):



Subdivurban (subdivide+suburban, processus de densification des banlieues par subdivision des parcelles)

Intéressant aussi, à condition d'y passer un moment, le pavillon coréen, qui contraste tradition et technologie pour parler de ville vivante (living city) et d'intelligence collective.


De la techno, il y en a évidemment beaucoup - comme ici chez les Coréens (des smartphones suspendus à des fils transparents, invitant les visiteurs à interagir sur les images projetées), des écrans partout et de la 3D - maxi impressionnante et mini signifiante dans le pavillon australien. Mais, développement durable oblige, il y a aussi du bois, des petites fleurs, du retour au basique. Par exemple le grand jeu de construction du pavillon tchèque:

Ou les histoires de graines développées par les Grecs:


Le pavillon grec sacrifie aussi à l'un des grands jeux de la Biennale : piles de feuilles à détacher et à emporter chez soi (l'expo Europan de la Cité de l'Archi nous avait déjà fait le coup, avec bonheur). Par exemple chez les Israéliens (histoire de l'urbanisme des kibboutz, difficile à aimer comme modèle pour l'avenir, à moins d'imaginer que la crise mondiale nous ramène à un tel niveau de frugalité idéale).

Ou, grand éclat de rire, dans l'expo OMA à sa propre gloire : sans vergogne, une histoire de l'architecture mondiale depuis le 16e siècle illustrée par les projets de l'agence du grand gourou (Rem Koolhaas recevait cette année un hommage de la Biennale)... Avantage de la proposition, la possibilité pour tout un chacun de se fabriquer un joli petit livre d'images et de textes coup de poing.

Côté grande échelle, il y a bien sûr le pavillon français : Dominique Perrault commissaire sur le thème de la Métropolis, avec un beau film de Richard Copans, tous deux s'attachant à y montrer comment la ville devenue métropole est un territoire alternant pleins et vides - lieux de mutations et de possibles. Le Grand Paris au cœur du dispositif mais aussi Lyon, Marseille, Bordeaux et Nantes-Saint-Nazaire. D'où émerge une image de "métropole à la française" plutôt positive, vivante, habitée par des humains et des œuvres d'art.

"Incontournable" (le mot est de Loïc Jauvin, Nazairien), le pavillon danois. D'abord parce qu'il réussit à parler au grand public des enjeux de grand territoire (avec classicisme, d'accord, mais efficacité). Il répond ainsi à sa question "What makes a livable city" (Qu'est ce qui rend une ville vivable") par l'idée que, d'abord, il faut y impliquer ses habitants.

Et parce qu'il invente un nouveau modèle de développement avec le projet de métropole binationale entre la région de Copenhague et celle de Malmö, en Suède. Un espace effectivement pratiqué comme aire urbaine par les habitants (les Danois habitant en Suède pour payer moins de taxes et se loger moins cher mais travaillant côté Copenhague) et destiné à le devenir de plus en plus, avec l'idée d'un métro rapide, le Loop. L'infrastructure de transport devient une limite à l'étalement et les arches de son ouvrage, bâties, fabriquent de la ville dense à la frontière de la ville périphérique, en associant toutes les fonctions urbaines : habitat, services, activités, culture, agriculture, transformation des déchets, production d'énergie...





Et puis il y a mon expo préférée, dans le pavillon de la Biennale, sur l'agriculture urbaine - elle mérite un message à elle toute seule.
Alors, en guise de préparation, une image de douceur pour un monde de brutes:

4.9.10

encore le motet!

Surprise dans les salles de l'Arsenal, à Venise: le "Forty Part Motet" mis en espace par Janet Cardiff. La splendeur des voix dans cette enceinte ancienne et brute, la vigueur des haute-contre et des sopranos, la profondeur des basses, je les ai prises en plein cœur, alors même que la pièce m'était connue.

Dans mon cœur ouvert, le motet creuse joyeusement.

Alors j'y suis retournée le dimanche, avant de partir.
Don du soir, la lumière entrant par les fenêtres de fer dessine de grandes ombres au sol. Et un CD pendu dans un arbre, derrière le bâtiment, envoie dans la salle, par intermittence, des éclats mouvants.

En restant, après le silence qui suit les 14 minutes de musique, j'ai entendu pour la première fois les chanteurs se préparant avant l'enregistrement, discutant de tout et de rien, riant, se chauffant la voix, toussant. "Est-ce une pièce pour un jour triste?" demande l'un d'eux. "Non, un motet est bon pour tous les jours."


Motet: du latin motetus: « petit mot », composition musicale apparue au XIIIe siècle, à une ou plusieurs voix, sur un texte en latin; à l’origine de la polyphonie, il grandit au XVIIIe siècle et engendre l'oratorio. Spem in alium nunquam habui, le motet de Janet Cardiff, a été composé par Thomas Tallis (1514-85).
le blog en parlait en mai (depuis Wellington) : http://frederiquedegravelaine.blogspot.com/2010/05/emotion-motet.html

Venise, cartes postales





C'était comme être DANS la carte postale au lieu de simplement la regarder. Autant dire que c'était bel et bon. Le merveilleux avec Venise, c'est de toujours y découvrir quelque chose d'inattendu - et tant pis si la cité des Doges a quelque chose de moribond (une ville qui vit seulement par son passé, qui ne se projette pas dans l'avenir, est-elle une vraie ville? s'interroge Joël Batteux, le maire de Saint-Nazaire).





Oui, ça n'a pas d'importance, quand la nuit est si profonde (pas de bagnole ici, donc un niveau d'éclairage bas). Quand le linge séchant entre les ruelles raconte des histoires familiales ou colorées - histoires d'Italie et de gens vivants.






Parmi les images étranges, cet orage de fin d'après-midi, lumière oranger intense sur la ville - au fond de la lagune, les Alpes, finement dessinées comme dans une peinture du suisse Ferdinand Hodler.


Et puis la douceur de vivre - avec ce mélange de kitch et d'élégance qui fait le charme de tant de villes italiennes.


Cocktail local, à toutes les tables, très bon marché dans les quartiers populaires, pas cher même ailleurs : le Spritz. Un mesure de Campari, une mesure de vin blanc (ou, plus chic, de Secco pétillant), une mesure plus ou moins large d'eau gazeuse (à grosses bulles, c'est meilleur), une tranche d'orange (ou de citron) et des glaçons - sur la piazza del Arsenale, ils ajoutent une énorme olive verte - toute juteuse à mordre dedans. Pendant que je sirotais le breuvage oranger, le soir tombait dans une belle lumière légère, deux jolies petites filles blondes jouaient entre les tables, la plus jeune appelait la plus grande : "Anastasia!"