15.4.11

Du grand, du petit

Trop court, ce voyage. D’abord parce que 3 semaines seulement alors que je savais bien, il en faut au moins 4 pour sentir la différence. Ensuite un énervant tour de passe-passe à fait disparaître 3 jours: partie un samedi soir, revenue un lundi, 23 jours après et pourtant seulement 18 jours en Nouvelle-Zélande + 2 à Sydney… Le reste, c’est le temps du voyage ! Et puis, les aléas de la vie m’ont fait consacrer plusieurs journées de la première semaine à bosser pour terminer le boulot qui aurait dû l’être à Paris – me suis pas sentie maline en tête à tête avec mon ordi, comme d’hab, mais d’être allée au bout du monde pour ça.


Quand même, voyage il y a : des images, des sensations… Le dernier soir à Sydney, pendant que j’attendais le taxi pour l’aéroport, les odeurs de forêt tropicale, les bruits d’oiseaux et de grenouille. Juste avant, la balade au coucher du soleil sur la plage de Coogee, il avait plu, les mouettes s’attroupaient. La veille, la vue depuis l’appartement de Susan sur le port, traversé à la tombée de la nuit par des milliers de grosses chauves-souris – tous les soirs, elles déménagent du jardin botanique pour le parc des Domaines.

Le regard amoureux de Mathilde souriant à Ben, lors de notre dernière soirée, dans un joli resto italien d’Auckland. Mathilde sur la plage, enveloppée dans sa serviette, sur l’île de Waiheke : nous avons ri en regardant la mouette qui essayait de casser un coquillage en le laissant tomber mais sur le sable, ce n’était pas assez dur, elle avait beau monter de plus en plus haut, elle s’y est reprise à cinq ou six fois avant de pouvoir gober son mollusque.

Une autre plage, à Napier, le pique-nique au coucher du soleil avec Hilary et ses amis, un bon verre de Viognier, nous étions venus à vélo, le mien se découpait sur le ciel rouge. Encore une plage, celle de Karekare, où Jane Campion a tourné la Leçon de Piano, sombre, longue, avec ces délicats coquillages blancs et les vagues, en rouleaux mais tranquilles. Est-ce que se baigner dans le Pacifique donne des sensations spéciales ? Peut-être bien.

Avec Mathilde, manger une crayfish délicieuse (langouste locale) avec des grosses frites, au marché aux poissons d’Auckland, festin offert par un ancien rugbyman devenu homme d’affaires qu’elle avait massé trois jours avant et que nous avons rencontré là, par hasard…


À Wellington, depuis la fenêtre de la chambre où Sam et Ed nous hébergeaient, la structure en bois de la maison voisine en construction, se découpant sur le ciel gris d’orage.

À Napier, chez Hilary, encore une belle rencontre Couchsurfing, un effet de soleil magique dans un panier en lattes de métal rouge, une belle pièce d’art dont je suspendrais volontiers la sœur dans ma cuisine, pour y mettre aussi les oignons, l’ail, le gingembre… Mais trop compliqué à transporter.

À Sydney, des discussions avec Susan et Fiona sur la pratique artistique – comment le corps peut aider à se détacher du contrôle par l’esprit, pour laisser la pièce créée « informer » l’esprit, et non plus le contraire. Comment aussi laisser travailler sa mémoire, sans nostalgie, sans psy, mais comme un contact avec le réel.

Et puis du paysage, toujours du paysage. Avec cette conscience très claire au cours de ce voyage que le paysage est un sentiment autant qu’une sensation ou qu’une création. Le sentiment duel d’une confrontation à l’immense – le monde si grand, moi si petite – et de toutes ces petites choses qui sont là, autour, par lesquelles je m’ancre dans le sol. Dialogue entre la vastitude et le micro. Ça passe par les pieds, et ça passe par l’horizon. De l’un à l’autre. J’ai vécu cet échange très intensément en photographiant les plages et leurs objets, les bois flottés, les coquillages... Et j’ai retrouvé ce dialogue dans l’expo photo sur le paysage à l’Art Gallery de Sydney, le travail magnifique de Lynn Silverman dans les années 1970 : traversant les vastes étendues du bush australien, elle photographie la ligne d’horizon (ciel immense) et le sol, à ses pieds (les pointes de ses chaussures, les cailloux).


http://lynnsilverman.com/portfolio/horizons/view/73

la beauté pourquoi faire?

Ça ne se fait pas de croire que la beauté reste un ingrédient incontournable de l'art. Ça fait plouc ou réactionnaire. Même si certaines autorités de l'art contemporain avouent la travailler - par exemple Daniel Buren, pour qui l'artiste se doit d'apporter de la beauté à un monde qui en manque tant. C'est en visitant la galerie d'art chinois de Sydney - White Rabbit, une des rares galeries privées du pays - que j'ai compris pourquoi c'était si important pour moi, pourquoi l'art qui prétend s'en passer me gonfle (oui, c'est vulgaire à dire, mais c'est surtout vulgaire à faire): il me semble que la beauté s'adresse à l'affect, à l'émotion, au sentiment. L'art contemporain qui fait l'impasse sur cette dimension se contente de travailler le concept - au point que certaines œuvres n'existent qu'accompagnées de leurs sous-titres ou de la culture de leurs spectateurs. Celui-là s'adresse au mental, exclusivement. Parfois avec humour, parfois avec conviction militante, parfois avec invention. Mais il me semble que ni le rire ni la colère ni l'imagination ne souffrent de parler aussi aux émotions, et de le faire en cherchant le beau.

La galerie White Rabbit de Sydney. Et la maquette de Pékin en riz et porcelaine de Zhou Jie.


Là, il faudrait se lancer dans un débat philosophique sur le Beau, le Bon, le Vrai - mais mon idée n'est pas d'entrer dans une discussion à majuscules. On pourrait aussi s'écharper sur ce qui est beau et ne l'est pas... Pour revenir à Daniel Buren, ils seront bien sûr nombreux les détracteurs, à considérer que son travail offense la beauté! Il y a tout plein de "jolies" choses que je juge affreuses, évidemment. Mais, avec la conscience de la relativité de telles définitions, variables dans le temps et l'espace, je préfère m'en tenir au désir que l'œuvre se pose la question de la beauté, en prenant le risque de déplaire ou de rater. Mais au moins, la chercher. Je suis convaincue que tout ce qui contribue à aggraver les clivages (entre le corps, le cœur, l'esprit) compte parmi les mauvaises actions. Parce que le clivage affaiblit l'humain dans l'homme (et il n'a pas besoin de ça) et parce qu'il nous rend incompréhensibles à nous-mêmes.

haine du potelet

Cela faisait longtemps que j'en avais envie mais toujours reporté à demain, alors voilà, l'occasion d'un déjeuner organisé par l'Ajibat (association de journalistes de la ville) sur l'urbanisme et la sécurité, m'a rallumé l'envie : comment supporter la multiplication des potelets et autres bornes, ces bitoniaux disgracieux qui encombrent les trottoirs et les passages piétons, sous prétexte de les protéger et de les baliser. Dans Paris, c'est la folie depuis quelques années. ça marche avec la généralisation des "villages", des "zones 30" et de toutes ces divisions de voiries qui saucissonnent l'espace public. Résultat, au lieu d'apaiser les relations entre usagers ("apaiser", c'est le mot mis à toutes les sauces par les techniciens de la voirie), on les complique. Au lieu d'assurer la sécurité, on fabrique une insécurité, puisque l'espace est de moins en moins lisible et fluide.

©moburbain.fr
Le potelet, souvent marronnasse, symbolise parfaitement cette triste évolution, parce qu'il trahit le manque de confiance dans la ville et dans l'urbanité - la ville définie comme lieu de frottement (donc espace où les conflits peuvent s'exprimer, exister, sans pour autant virer à la violence), l'urbanité entendue aussi dans son sens de "courtoisie".


Reconnaissons tout de même au potelet une qualité : il est théoriquement facile à supprimer - contrairement à des solutions moins envahissantes et moins visibles mais plus durables, genre trottoirs surélevés, efficaces aussi pour empêcher les méchants automobilistes de se garer n'importe où. Ceci-dit, ils coûtent cher (une centaine d'euros chaque + le coût d'installation + l'entretien et le remplacement). Et ils n'ont rien de pédagogique pour amener les dits automobilistes à respecter leurs concitoyens (à commencer par eux-mêmes dès qu'ils sortent de leur bolide pour prendre le commun statut de piéton).

(dessins "ville avant - ville après" © Ben Hamilton-Baillie & Paul Boston, source : Urban Design Hamilton-Baillie Associates )


Face à la technicité du découpage à la française, il y a quand même d'autres pratiques : Drachten et Makkinga(Pays-Bas), Bohmte (Basse-Saxe), Brisbane (Australie)... et beaucoup d'autres villes, vivent sans panneaux, sans partage de l'espace public, sans feux tricolores. Et avec en général moins d'accidents. Sans doute parce que leurs usagers font davantage attention?

Traquandi

évidemment, il faut aimer la peinture. Gérard Traquandi, c'est de la peinture, de la vraie, avec ses matières et ses transparences, les couleurs qui osent (j'adore la turquoise, et la jaune citron aussi), les blancs profonds et les noirs vibrants, du doré dans le violet, les tons sur tons, les abstractions si délicates on dirait que les gestes en mouvement survolent la toile, le mur, l'espace autour. Une peinture planante, comme de la musique qui résonnerait à l'intérieur, du côté du plexus. Et qui met en joie.

La technique, parfaite, sait fabriquer, savoir-faire au service de la sensation et du sentiment recherchés. La grande taille des toiles, c'est du grandeur nature, pour s'y plonger - d'ailleurs ce n'est plus tout à fait de la 2D.

Tout ça pour dire : faut pas louper cette expo à la galerie Laurent Godin (5 rue du grenier St-Lazare, à deux pas de Beaubourg). Au sous-sol, il y a des petites huiles très diluées, que le papier boit. Et derrière le comptoir, des petites encres, intimes.