30.1.11

"je ne donne jamais ma langue au chat"



Louise Bourgeois dans la maison de Balzac, pour Eugénie Grandet : un moment de grâce, pure joie. Avec quelle liberté la vieille dame (elle est morte avant que l'expo soit prête) se raconte en même temps qu'Eugénie Grandet, prototype selon elle de la femme inaccomplie car soumise à son père. Louise, elle, s'est révoltée, et de cette "revanche" elle a fait l'énergie de son œuvre, comme de la transformation de ses traumatismes elle a fait la trame de son travail.

la liberté, c'est aussi le trait, toujours entre violence et douceur, cette force magnifique qui s'infiltre dans celle/celui qui regarde.


Que reste-t-il en nous de cette "féminité" soumise (maso?), venue du fond des âges? La question est là (à charge pour chacune d'entre nous de se la poser, au moins, avec honnêteté). Louise Bourgeois la décline dans des broderies à l'ancienne, avec juste ce qu'il faut de décalé pour mettre mal à l'aise.





Et puis il y a un film, bref, drôle, où Louise décline ses "expressions consacrées". Ses peurs, ses jeux. "Je l'ai sur le bout de la langue", "je ne donne jamais ma langue au chat", "Faire du zèle, pourquoi pas?"


Oui, pourquoi pas?

9.1.11

Le chien de la maison rouge

Juste à temps... C'est fini dimanche prochain et j'aurais regretté de les avoir loupées, Les recherches d'un chien exposées à la maison rouge (près de la Bastille, Paris). Cinq fondations européennes regroupées en FACE partagent l'envie de montrer de l'art vivant, quelque chose qui croque sous la dent : cette expo est leur première manifestation commune, inspirée par une nouvelle de Kafka - un jeune chien en crise d'identité se pose plein de questions pour tenter de comprendre ce que signifie être chien.

Les artistes choisis ici répondent avec vigueur, colère, humour et quand même ce qu'il faut de désespoir pour être pris au sérieux. Ainsi Mark Dion et sa grosse taupe suspendue, bouffée dans le dos par Les Nécrophores. Bouleversant, le portrait par Boris Mikhailov d'un sans-abri aux doigts et à la bouche ensanglantés de cerises, qu'il sème sous un arbre. Agaçante, la vidéo de Santiago Sierra, Person obstructing a line of containers : dans un port, pendant 10 minutes, un homme empêche par sa seule présence une file de camions d'avancer - c'est drôle et inquiétant, étrange suspens en attente d'une violence. Quasi documentaire, la vidéo de Vaso Araujo interroge des pasteurs About being different, architecture uniforme d'une ville anglaise, extraits de l'opéra de Britten, Peter Grimes : où est le conformisme?

La beauté, on évite d'en parler dans l'art contemporain - ça gêne. A mes yeux, la beauté est une énergie, une puissance capable de couper le souffle, elle est quelque chose qui s'imprime à l'intérieur de soi en s'adressant à la fois à l'esprit, à l'émotion et au corps. Ici, je l'ai rencontrée devant les photos en noir et blanc de Lorna Simpson : des corps noirs, de dos; des masques africains retournés, des fragments de textes. A deux pas de là, William Kentridge raconte l'apartheid vécue en Afrique du Sud - History of the Main Complaint, animation de dessins au crayon, effacés partiellement et reconstruits plan par plan, procédé magique et métaphore de la mémoire et du déni.


Et puis il y a la couleur des voyages, le choc des traditions, la rencontre de la Sud-coréenne Kimsooja et de ses paquetages aux tissus chamarrés ficelés sur une camionnette avec l'installation de la Californienne Lara Schnitger, ses messages et slogans prosaïques imprimés sur des bandeaux genre drapeaux de prière tibétains.