22.3.11

Histoire de Mr Young

Jim Young est l’oncle de la mère de mon amie Janet. Il vit à Bay View, très petite bourgade au milieu des vergers et des vignes, face à l’océan, à quelques kilomètres de Napier. Il a plus de 70 ans mais gère encore le garage qu’il a bâti ici peu à peu. Une station service au bord de la route, un grand garage à l’arrière, Young Motors, où se vendent et se réparent les camions et les machines agricoles. Il représente Fiat, Nissan, BMW, des compagnies américaines… Une grosse entreprise, qu’il fait visiter avec une certaine fierté, en racontant comment il a « humblement » commencé, avec un tout petit atelier – il croit avoir été le premier asiatique à s’installer dans la mécanique en Nouvelle-Zélande et pense d’ailleurs en être encore un des rares représentants.

Comment ça lui est venu ? L’histoire est longue. Celle d’un petit garçon chinois, dont la mère meure lorsque les Japonais envahissent la Chine. Son père l’envoie en Nouvelle-Zélande (avec d’autres réfugiés), où il fait des études scientifiques. Jeune homme, il retourne au pays pour étudier le chinois et prendre femme. Puis revient définitivement. Parce que les autres Chinois nouvellement arrivés ne parlent pas anglais, il sert d’interprète, en particulier pour expliquer les pannes de moteur, car il travaille dans un garage. Ainsi devient-il mécanicien habile, puis entrepreneur. Il a commencé dans un coin de bâtiment que son frère ainé (le grand-père de Janet) lui a laissé. Un entrepôt tout en longueur où la famille invitait les habitants de Bay View pour de grandes fêtes, tous les ans.



Autour de ce lieu, Jim a fait prospérer son entreprise, bâtiment aujourd’hui en piteux état qu’il veut rénover, « parce que c’est de l’histoire ».


De son frère, Jim a aussi hérité quelques arpents de vigne, à quelques kilomètres de là. Du merlot, du sauvignon d’origine italienne. Il vend les raisins aux vignerons voisins, lui-même n’a pas le temps de vinifier et ses enfants (deux fils, une fille) ont fait d’autres études – avocat, business... Ils vivent en Australie ou en Europe.
Jim se voit mal habiter en ville, parce qu’il a l’habitude d’avoir de l’espace. Pourtant, quand il va vieillir (il dit ça avec un petit rire), peut-être ira-t-il à Sydney, chez sa fille… Sa femme et lui habitent une maison dans la plaine, à quelques encablures du garage. Grande maison, entourée d’arbres fruitiers – maintenant que les enfants sont partis, ils donnent les pommes aux visiteurs, alors je repars les bras chargés.

Pounamu, pierre angulaire

Petite leçon sur la "greenstone" (pierre verte), grâce à la belle exposition du Te Papa, le musée de Wellington, sur la (ou le ?) pounamu – nom maori de la greenstone , que nous appelons jade pour faire court : la greenstone de Nouvelle Zélande est une néphrite d’une extrême dureté, grâce à ses molécules entrelacées. Pour les Maoris, elle est pierre angulaire, à la fois outil (tranchant de hache qui fabrique les canoës et taille les autres pierres), arme (mere, un peu épée, un peu arme contondante, un peu sceptre), symbole de force et d’autorité, bijou… Et le célèbre Tiki, symbole maori par excellence.



La pounamu est honorée comme le don de la terre (taonga : trésor) qui a permis aux Maoris de graver leur histoire et leur généalogie. Elle est l’objet de nombreuses croyances attachées à son pouvoir. Elle peut alors avoir sa propre volonté – un homme dans l’exposition raconte qu’il déménageait de l’île sud vers l’île nord en transportant un bloc de pounamu qui à plusieurs reprises a roulé sous sa pédale de frein, malgré le soin qu’il portait à le caler, jusqu’à ce qu’il se décide à le laisser derrière lui : « ce pounamu ne voulait pas passer dans l’île nord ». La tradition veut que la première pounamu trouvée soit donnée, pas conservée. Dans certains villages, il n’y avait qu’une pierre par famille, les autres étant données. Version moderne et commerçante de la chose: on n’est pas censé s’en faire cadeau à soi-même mais seulement se la faire offrir. La pounamu est le plus sûr moyen maori de construire des relations: on se l’échange lors d’alliances, on en offre aux anciens ennemis.

Il y en a des variétés infinies. La plus rare, kahurangi, est très translucide, avec de vives teintes vertes.

La plus courante, kawakawa, peut atteindre un vert sombre presque noir.


Inanga varie du blanc au gris-vert et change de couleur en s’oxydant avec le temps.


Tangiwai, la plus ancienne forme géologique, parfois bleutée, est claire comme du verre et « son nom évoque un chagrin si profond qu’il ne sera jamais tout à fait guéri. »

Kokopu porte le nom d’une truite tachetée…


Cette pierre vit de ses mystères – comment les Maoris en ont-ils déniché les sites, rares et souvent difficiles d’accès ? Les a-t-elle préservé du progrès (peuple qui n’a pas connu l’âge de fer, malgré les nombreuses ressources minières de la Nouvelle-Zélande) mais aussi du combat, compromettant leurs chances de victoire lorsque les Européens sont arrivés en s’appropriant les lieux ? Elle est en tout cas au cœur des peuples qui vivent ici, portée par tous, toutes races confondues. Objet d’exploitations illégales depuis deux décennies, donc à protéger plus vigoureusement.

20.3.11

Scribble Scape




C’est le talent d’Auckland, accueillir sans faire le tri, sans ces jugements a priori qui font le mortel parisien. Ce vendredi, le festival Frindge (avec lequel Mathilde et ses potes ont aussi présenté leur spectacle) c'est dans les escaliers de Saint Kevins Arcade, à 7 heures, une troupe de danseuses joue Scribble Scape. Intraduisible : scribble pour «gribouillis» mais scape pour escape («échapper») ? ou pour landscape («paysage») ? Ou encore autre chose ? En tout cas une forme gribouillée…


Le surprenant, c’est de regarder les danseuses par au-dessus – une prestation très graphique qui fait vivre l’espace.




Elles jouent à prendre le thé, elles sautent, elles courent, elles grimpent, elles se cognent ou s’enlacent. Elles ont la pêche et ça fait du bien.












Des musiciens les accompagnent en live. Avec parfois quelques difficultés à couvrir le bruit des conversations, des étudiants surtout, attablés au fond de cette place couverte pleine de charme art déco.

Certains passants s’arrêtent, s’accoudent à la balustrade, souriant. D’autres passent – l’escalier relie K-Road (rue en ligne de crête qui délimite l’hyper centre) et Myers Garden, jardin fond de vallée luxuriant, descendant jusqu’au Civic Center. Au pied des marches, surprise : une copie d'une statue de Michel Ange.

Paris-Dubaï-Sydney-Auckland

séance de rattrapage - c'était il y a 2 semaines déjà...

Vu du ciel, ce voyage si long parcourt deux nuits, deux couchers de soleil, deux aubes. Avec la sensation forte de voler vers l’Est, d’accélérer le temps – paradoxale sensation, puisque le temps peut aussi s’étirer, pendant que sa traversée semble interminable.


Première aube à l’approche de Dubaï, le désert sort de l’ombre grise, indistinct, pour se teinter peu à peu de rose. Le ciel flambe, rougeoyant par tranches. Au loin une chaîne rocheuse pose une ligne découpée et sombre sur la platitude embrumée. La ville apparaît brutalement – des cubes d’immeubles bas en îlots carrés, rien de la tape-à-l’œil Dubaï qui fait front de tours face à la mer.



Après une nuit qui n’en finit pas (j’ai du mal à dormir dans l’avion, assise et serrée ; il fait si noir dehors ; quelle heure est-il ici ? là-bas ? j’ai perdu le fil), second matin pour l’arrivée à Sydney – toujours aussi belle et désirable dans son intense partage entre forêts, plages, criques, ville…




Il reste la dernière étape, encore un peu de patience, un peu plus de deux heures, seulement.

L’avion fait le tour complet d’Auckland avant de se poser, somptueux traveling autour de la baie, la mer dans tous ses états de gris et de verts, les îles en forme de volcans et les volcans en forme d’îles vertes dans la ville, le velouté des reliefs, le centre si petit avec ses quelques tours modestes.






Et puis la spread city, qui à l’évidence grignote l’espace loin devant elle, sans vergogne…

12.3.11

chez les parents de Ben



Rachel et Robert (parents de Ben, le petit ami de Mathilde) vivent depuis 25 ans dans le bush, un coin encore sauvage pas facile d'accès (même si pas ce loin d'Auckland), en haut de la colline, dans l'ardent chant des cigales. Après 400 mètres de raidillon, une maison en bois octogonale. Esprit années 70 es-tu là? Oui, il est là.
La vue sur la mer, sur la fameuse plage de Karekare. Les arbres tout autour (en particulier les manuka, arbre d'ici, dont la puissante odeur parfume un miel aux vertus antisceptiques). Rachel répète en souriant qu'elle a tellement de chance de vivre ici.

Karekare, la plage du "Piano"

Comme un pèlerinage. La plage de Karekare, c'est celle du film "La Leçon de piano", que j'ai tellement aimé, revu au moins 3 fois. Avec cette image bouleversante du piano échoué sur le sable, infiniment seul et elle vient là, jouer, quand même, elle qui ne parle pas et à besoin des touches noires et blanches pour exister.
Donc, me baigner à Karekare (prononcer "karikari", une quarantaine de minutes en voiture d'Auckland, sur la côte ouest) c'est une sorte de grâce, un cadeau de la vie.



Dans mon souvenir, la montagne qui surplombait la plage était impressionnante, raide et élevée. En fait, pas si grande que ça mais c'est la magie du cinéma.

Depuis la route, il faut marcher le long d'une bande d'eau (une rivière, un peu à sec en cette fin d'été), sur du sable noir - brûlant au soleil. Plage ouverte, vaste, ouverte sur les vagues - pleine de surfers, pas pour nager, mais délicieuse pour y marcher.





Le sable sombre est très doux, très fin, brillant, plein d'éclats de roche volcanique - il en reste aussi quelques cailloux ferreux, traces de rouille.

La mer qui descend laisse des milliers de petits coquillages blancs. Contraste qui m'amène à photographier des compositions.








Avec quelquefois des éclats vigoureux de couleurs.