9.10.10

Richesse de l'Axe Seine



Vue du ciel, la vallée de la Seine entre Cergy et Vernon : superbe ballade en avion organisée par la Ville des Mureaux pour Antoine Grumbach et son équipe (équipe dont je fais partie dans une étude sur l'Axe Seine - de La Défense au Mantois).




De là-haut, les potentialités de ce territoire se révèlent comme des évidences. Une richesse liée à sa diversité - tous les types d'habitats, des riches et des pauvres, des villes historiques, de l'industrie encore active, de l'agriculture, des bases de loisirs magnifiques...




Mais aussi beaucoup de choses qui souffrent : beaucoup de friches, des hectares de toitures industrielles et de parkings (dangereusement imperméabilisés), les berges de la Seine pas assez accessibles, le fleuve peu pratiqué (quelques barges, très grandes mais rares)...







La paysagiste Léna Soffer note combien le tissu urbain est indifférencié - "il manque de repères; contrairement à ce que montre Vernon, avec ses allées de tilleuls taillées et sa relation à la géographie, si remarquables".


L'architecte Jean-Robert Mazeau décrit les berges comme "à la fois cannibalisées et abandonnées, deux fois maltraitées".

Antoine Grumbach insiste sur "la juxtaposition de grands tissus qui ne fonctionnent pas toujours bien ensemble - emprises industrielles, nappes pavillonnaires, grands ensembles, espaces naturels".



Mais le charme est immense, le luxe des grands paysages, tous ces espaces ouverts, de la forêt, de l'agriculture, même en zones très urbanisées. Une agriculture qu'il est urgent de préserver et de développer - elle a besoin d'un projet, sinon elle va se faire grignoter et disparaître, alors que sa présence est un gage d'équilibre durable pour la région.

3.10.10

Baisers, lucioles, liberté

Jolie Nuit Blanche. Je l'ai faite légère, en prenant mon temps. Donc en voyant peu de choses mais en en profitant beaucoup. Elle a commencé par un long baiser, "un long baiser sans fin" (Jeanne Moreau dans "J'ai la mémoire qui flanche") - Kiss, de Tino Sehgal dans la cour vitrée de l'école des Beaux-Arts: deux danseurs enchaînent à l'infini des figures de baisers célèbres dans l'histoire de l'art du 20e siècle (à ma grande honte, je n'en ai reconnu guère), travail parfait des corps, qui glissent sur le marbre du sol, les visages restent impassibles, l'exercice est vidé d'émotion donc de désir, c'est étrange et intéressant.

Étonnamment, les Lucioles d'Erik Samakh, dans le cloître de l'Hôtel-Dieu, étaient plus évocatrices de sentiments amoureux, si fragiles, improbables clignotantes dans la nuit silencieuse.

Après un petit tour un rien décevant autour de Notre-Dame illuminée de l'intérieur (fallait-il que l'architecte des Monuments Historiques soit si chatouilleux d'un tel scandale, oser éclairer les vitraux de l'intérieur? Ce que la Fête des Lumières avait déjà fait à Lyon il y a quelques années...), cap sur Belleville pour la Parade de Rirkrit Tiravanija et Arto Lindsay, de la zique battante pour une ambiance joyeuse, des jeunes filles qui retirent des tee-shirts superposés (pubs et slogans pas si politiques que ça), jusqu'à faire apparaître le slogan : "On ne peut pas simuler la liberté" (contrairement à l'orgasme?).

Sur le boulevard, installation surprenante de Lang et Baumann, greffe de tuyaux lumineux sur l'école élémentaire au pur style Jules Ferry (Comfort #4).

Dans la cour de l'école d'archi, le joli Arbre à Rêves de Sylvie Hazebroucq avec Paris Mômes, dimension festive de la Nuit Blanche (normalement, déposer ses souhaits sur la sculpture était réservé aux enfants, mais les adultes aussi sont des enfants).

Pas de fête à l'art contemporain sans vidéos. Dans l'école d'archi, une merveille du Coréen Heewon Lee : Phone Tapping, voix racontant comment les fantômes interfèrent dans les vies, panoramique sur Séoul la nuit, dont les milliers de lumières deviennent des lucioles en nuages... A la Cité des Métallos, envoûtant voyage sous l'eau d'un barrage qui noya des villages, près de Bahia, en 1978 (Cidade Submersa, de Caetano Dias).


Et puis la surprise, même pas dans le programme officiel (seulement associé) : le pavillon Prouvé reconstruit dans la cour de la Monnaie de Paris accueille l'installation performance du groupe La Cellule, A pile ou face, mes amours se jouent. Ambiance India Song pour le décor et les costumes mais comme si Duras était devenue drôle; entre starlette et marin, un visiteur, une visiteuse, sont autorisés à entrer pendant trois minutes. Le public sourit, invité à imaginer, stimulé à devenir créatif.





15.9.10

la ville agraire


Rethinking happiness : Repenser le bonheur... Programme un peu lourd que se donne Aldo Cibic, exposé dans le pavillon de la Biennale, à Venise (toujours cette tendance messianique des architectes à dessiner un monde meilleur?): encouragé par la crise, il invoque la nécessité de l'utopie ("une occasions de redéfinir nos rêves et nos habitudes") et exhorte à "travailler ensemble".
Le meilleur n'est pas là. Mais dans la merveilleuse maquette concoctée avec son équipe, entourée de croquis charmants. L'ensemble, parfaitement accessible à tous, décrit de nouvelles typologies pour un urbanisme rural loin des schémas habituels et pourtant pas si irréaliste que ça.


Pièce centrale du dispositif, le parc agricole de 4 km2 pour 8000 habitants, imaginé dans la périphérie de Shanghai - territoire d'agriculture traditionnelle menacé par la croissance urbaine et industrielle : sur la grille des parcelles agricoles, se superpose une grille d'immeubles et des services collectifs. Ou comment faire entrer la ville dans la campagne et la campagne dans la ville.


Sur le thème de la "Agri-techno Valley" près de Venise, un campus pour attirer au milieu des champs 250 jeunes chercheurs - ou comment associer habitat et travail, grande agriculture, jardins potagers, tourisme, en totale autonomie énergétique...



Autre figure de style, la création d'une communauté d'un millier de personnes dans une zone à l'écart du centre-ville, au pied des Alpilles. Avec jardins partagés, vignes et vergers.


Pour la banlieue de Milan, près d'une nouvelle station de métro, un parc où l'espace public associe les équipements collectifs, au pied d'un ensemble de logements où trouver aussi des espaces de travail bon marché. Le tout s'appelle "Superbazar".

11.9.10

La Biennale, grande marelle

Au-dedans de Venise, toujours belle pour elle-même, il y a cette Biennale d'architecture. C'était ma première du genre, alors je n'ai pas de point de comparaison. Seulement des questions. En particulier celle de savoir si la marelle conduit bien au paradis (indice: les Jiardini s'ouvrent sur le Paradiso).

Cette édition 2010, sur le thème officiel de "se rencontrer dans l'architecture" (People meet in Architecture). En fait, de rencontre il est peu question dans l'expo. Encore moins de relation à l'autre (l'Autrui, dit Valère Novarina, formule qui tend à rendre encore plus étranger celui-là qui nous échappe forcément). Ce sont les espaces consacrés aux installations d'artistes, dans les bâtiments de l'Arsenal, qui donnent le mieux la sensation de la rencontre - le Motet bien sûr (voir post précédent), la délicieuse expérience du nuage (ou comment croiser quelques fantômes, quand il fait chaud en haut du parcours en hélice et, puisque tout est relatif, frais au sol; Transolar & Tetsuo Kondo Architects, Allemagne).


Pour le plaisir et les fantômes, il y a aussi l'eau lumineuse qui éclabousse et joue de reflets, perturbe la perception de l'espace et du temps : Your split second house du Danois Olafur Eliasson - Quel est l'espace entre deux secondes? Combien de temps faut-il pour sortir d'un trou noir?


Du côté strictement archi, difficile de se sentir concerné. Maquettes de maisons, film 3D d'un Wim Wenders piégé par la technique (au final, un objet sans cinéma ni architecture). Plus riches, les pavillons qui ont abordé la grande échelle. Histoire de Tokyo chez les Japonais, ou comment s'est fabriquée la ville - cours d'urbanisme à l'usage de la réflexion internationalement partagée sur la densité. Tokyo y est raconté en trois thèmes: Urban village (à partir d'une typologie de petites maisons, la fabrique de la densité et de la centralité):

Commersidence (commercial+residence, ou comment le commerce participe à la transformation ):



Subdivurban (subdivide+suburban, processus de densification des banlieues par subdivision des parcelles)

Intéressant aussi, à condition d'y passer un moment, le pavillon coréen, qui contraste tradition et technologie pour parler de ville vivante (living city) et d'intelligence collective.


De la techno, il y en a évidemment beaucoup - comme ici chez les Coréens (des smartphones suspendus à des fils transparents, invitant les visiteurs à interagir sur les images projetées), des écrans partout et de la 3D - maxi impressionnante et mini signifiante dans le pavillon australien. Mais, développement durable oblige, il y a aussi du bois, des petites fleurs, du retour au basique. Par exemple le grand jeu de construction du pavillon tchèque:

Ou les histoires de graines développées par les Grecs:


Le pavillon grec sacrifie aussi à l'un des grands jeux de la Biennale : piles de feuilles à détacher et à emporter chez soi (l'expo Europan de la Cité de l'Archi nous avait déjà fait le coup, avec bonheur). Par exemple chez les Israéliens (histoire de l'urbanisme des kibboutz, difficile à aimer comme modèle pour l'avenir, à moins d'imaginer que la crise mondiale nous ramène à un tel niveau de frugalité idéale).

Ou, grand éclat de rire, dans l'expo OMA à sa propre gloire : sans vergogne, une histoire de l'architecture mondiale depuis le 16e siècle illustrée par les projets de l'agence du grand gourou (Rem Koolhaas recevait cette année un hommage de la Biennale)... Avantage de la proposition, la possibilité pour tout un chacun de se fabriquer un joli petit livre d'images et de textes coup de poing.

Côté grande échelle, il y a bien sûr le pavillon français : Dominique Perrault commissaire sur le thème de la Métropolis, avec un beau film de Richard Copans, tous deux s'attachant à y montrer comment la ville devenue métropole est un territoire alternant pleins et vides - lieux de mutations et de possibles. Le Grand Paris au cœur du dispositif mais aussi Lyon, Marseille, Bordeaux et Nantes-Saint-Nazaire. D'où émerge une image de "métropole à la française" plutôt positive, vivante, habitée par des humains et des œuvres d'art.

"Incontournable" (le mot est de Loïc Jauvin, Nazairien), le pavillon danois. D'abord parce qu'il réussit à parler au grand public des enjeux de grand territoire (avec classicisme, d'accord, mais efficacité). Il répond ainsi à sa question "What makes a livable city" (Qu'est ce qui rend une ville vivable") par l'idée que, d'abord, il faut y impliquer ses habitants.

Et parce qu'il invente un nouveau modèle de développement avec le projet de métropole binationale entre la région de Copenhague et celle de Malmö, en Suède. Un espace effectivement pratiqué comme aire urbaine par les habitants (les Danois habitant en Suède pour payer moins de taxes et se loger moins cher mais travaillant côté Copenhague) et destiné à le devenir de plus en plus, avec l'idée d'un métro rapide, le Loop. L'infrastructure de transport devient une limite à l'étalement et les arches de son ouvrage, bâties, fabriquent de la ville dense à la frontière de la ville périphérique, en associant toutes les fonctions urbaines : habitat, services, activités, culture, agriculture, transformation des déchets, production d'énergie...





Et puis il y a mon expo préférée, dans le pavillon de la Biennale, sur l'agriculture urbaine - elle mérite un message à elle toute seule.
Alors, en guise de préparation, une image de douceur pour un monde de brutes: